Le spectacle des mémoires | Maxendre Ostia

Maxendre est ce genre de personnes banales, ordinaire. Placide et agréable, monotone et souriant. Il est ce parfait monsieur tout le monde, on ne peut s'empêcher de penser qu'il est charmant mais pourtant, très vite, on ne se rappelle déjà plus de lui, de cet apothicaire que l'on tenait en haute estime. Cette apparence, ce masque de banalité n'est qu'une des nombreuses façades que possède le jeune homme, un vernis qu'il utilise pour ne pas se dévoiler. De fait, il est capable de calquer de nombreuses habitudes et caractères pour se protéger. Mais qu'en est-il du véritable Maxendre ?

Il sait sourire mais le fait rarement, ne trouvant que peu d'occasions qui se prête à une telle frivolité. C'est en partie également car il est toujours sur le qui-vive, ne voulant pas montrer une faiblesse, ne voulant pas perdre une seconde d'attention inutilement. Car il est méfiant, très méfiant. Ce qui le rend par ailleurs très professionnel dans tout ce qu'il entreprend, il fait même parfois preuve d'un perfectionnisme dérangeant. Il exècre par dessus tout faire des erreurs, qui sont pour lui autant de preuves de son manque de discernement. Attentif, il observe son environnement avec dévotion, analysant chaque information qui lui parvient et bien qu'il affiche un calme complet, lorsqu'on le connait assez, on peut discerner dans son regard une inquiétude particulière. Mais que peut-il bien craindre de la sorte ?

Il n'a pas de difficulté à aller vers les autres et à entamer la conversation mais il est fréquent qu'il ne se lance pas le premier. A dire vrai, souvent il tente même d'éviter les autres, jugeant souvent à tort que nouer des liens, en dehors de son travail, est stérile et vide de sens. Il n'a que peu confiance en autrui et trouve généralement que les gens sont une gêne, au mieux simplement des poids inutiles. Il n'a que peu d'amis et ne cherche pas spécialement à s'en faire de nouveau. Mais la nature même de ce défaut, de cette misanthropie si antipathique repose sur quelque chose dont il n'a pas pleinement conscience, une part d'ombre en lui qui l'empêche d'évoluer. Son scepticisme, avant de viser l'être humain en général, s'adresse à lui et à lui seul, pauvre âme en peine incapable de voir qu'il ne s'apprécie pas.

Maxendre est tant de choses à la fois, tant d'amour, de haine, d'atrocité, de cruauté, de compassion, de raison... Maxendre est un humain, comme tant de ces autres humains qu'il peine à supporter et en tant que tel, il se bat perpétuellement au centre de ce conflit qui caractérise ce peuple : Maîtriser ses émotions, ou se laisser dominer par elles. Quel sera sa réponse ? Lui-même l'ignore encore... Et vous ?

HISTOIRE

L'encre coule lentement, très lentement le long de la plume, larme de jais roulant le long du cuivre et tombe lourdement sur le papier, en un cercle informe. Dans un râle d'agacement, Maxendre froisse la feuille et la jette avant de sortir une autre du tiroir à sa droite. Voilà qui lui apprendra à se montrer contemplatif sans raison aucune. Il place sa feuille avec soin et approche sa plume de l'encrier lorsqu'une hésitation l'arrête dans un tremblement. Le regard figé sur les ornements de son instrument, il le dépose délicatement sur le bureau et se lève dans un long étirement qui semble lui faire gagner en taille. Voilà si longtemps qu'il est assis à transcrire des recettes d'herboristerie qu'il a presque oublié les propres sensations de son corps. Il masse délicatement sa nuque et observe l'extérieur par la fenêtre au fond de la salle qui laisse filtrer la pâle lueur de la lune. Dans un demi-sourire, il éteint la lampe du bureau et quitte la pièce qui lui sert de demeure pour profiter de l'air encore un peu frais de Véribus. Là, sous les étoiles, il se remémore tout ce qu'il a parcouru avant d'en arriver là. Un secret connu seulement de lui et de ces astres, spectateurs silencieux de la représentation que leur offre les mortels.

Comme enivré par la fraîcheur de la nuit, Maxendre s’assoit sur un banc et se laisse porter par les arabesques de ses souvenirs, volutes froides et impies d'un passé désormais révolu. Là, seul avec les étoiles, il s'autorise à plonger dans les stigmates de son enfance, marques invisibles qui ont fait bien plus de saccage que ce qu'il voudra jamais admettre. Les images sont encore floues dans son esprit, comme si elles se dérobaient à lui, dansant élégamment un ballet d'amertume et d'angoisse refoulé qui ne veulent pas revenir à la surface. Mais petit à petit, le rideau s'ouvre sur la scène. Et quelle scène, sans joie, sans chaleur et sans réconfort. Tout n'est que pâleur, frisson et horreur. Il se rappelle enfin, avec plus ou moins d'exactitude, de cet endroit dans lequel il a passé tant de nuits à se demander de quoi serait constitué sa vie. Sa chambre à la Citadelle.

Là-bas, il ne vivait pas réellement, il tenait plus du pantin, marionnette sans âme n'attendant qu'une chose, que ses fils se cassent. Il ne se rappelle déjà plus de ses parents, mais ce n'est plus si important que cela, maintenant. Plus rien n'a vraiment d'importance, il n'est rien, comme on le lui rappelle souvent. La violence de ces mots rudes écorchent son âme à tel point qu'il sent presque la lame froide lui caresser la peau. Il subit, comme tous ici, car ils ne savent quoi faire d'autre. On leur apprends que leur raisonnance est un péché, le pire qu'il puisse exister. Mais les enfants ont tendance à penser, eux, que la pire chose est leurs venues au monde. Pourquoi vivre si c'est pour être un danger pour les autres ? Les images perdent en précision, le rideau se referme sur bon nombre d'années qui peuvent être résumé à un apprentissage dans la torture et les larmes. Larmes qui transcendent les âges et l'esprit pour se déposer au coin de la paupière fermé de Maxendre, qu'il chasse d'un revers de la main brutal, comme si en se montrant violent, c'était à eux qu'il s'en prenait.

La représentation reprend, des actes ont été manqué mais qu'importe, ils n'étaient pas si important, tous si répétitifs et teinté d'un désarroi immense. Mais celui-ci est la naissance d'une froide colère, premier sentiment qui lui donne envie de croire, d'espérer. Il approche de l'âge adulte et quelque chose l'inspire à vouloir autre chose de sa vie qu'une servitude éternelle -La raison de cette colère est encore floue, mais en un sens, tout depuis le début est propice à la rage naissante au creux de son ventre- Alors Maxendre est docile, conciliant, bien plus qu'il n'a jamais pu l'être. Enfin, pense-t-on, est-il revenu à la raison. Enfin il réalise que son avenir est voué tout entier à la Citadelle. Mais l'esprit du jeune homme ne se concentre que sur une seule chose : Fuir. Peu importe les moyens nécessaire, il quittera Valdéroc pour ne jamais revenir et son destin lui appartiendra enfin.

Les échos du passé se teinte de rouge, d'un goût de fer et d'interdit. Ce jour, Maxendre ne peut l'oublier, mais aujourd'hui encore, il a du mal à accepter de se les remémorer. Car pour assurer le succès de son plan, il lui a fallu faire des sacrifices. Un sacrifice en particulier. Son compagnon de chambre, son camarade depuis tant d'années, arrivé en même temps que lui. Il l'adorait, l'aimait d'un amour qu'il pensait sincère mais la liberté est une amante bien plus puissante encore. Cela faisait des jours qu'il préparait sa fuite, des semaines qu'il analysait les dispositifs mis en place pour les maintenir en cage. Et il avait toujours admiré la facilité avec laquelle la surveillance s'amoindrissait lorsqu'un drame survenait parmi les raisonnants. Véritable compassion, ou maladive inquiétude de voir un mage disparaître de leurs rangs, cela il l'ignorait et ne voulait guère le savoir. Tout ce qu'il eut à faire, c'était de provoquer un drame sans pour autant en être mêlée. Alors il avait chapardé des affaires un peu partout, à tout le monde, et les avait dissimulés ça et là dans leurs chambres, du côté de son partenaire de toujours. Et le drame survint très rapidement, car des étudiants en colère débarquèrent un jour sans crier gare et trouvèrent leurs affaires au fond de sa commode. Les coups fusèrent, violent et brutaux et chacun d'eux déchiraient l'âme même de Maxendre, mais il ne pouvait -ne devait- pas se laisser aller au sentimentalisme. Alors, lorsque son compagnon lui adressa un regard suppliant, il s'éloigna discrètement, profitant de la cohue générale pour sortir rapidement de la chambre. Il fit en sorte que les étincelles du règlement de compte firent s'embraser les cœurs environnants pour que d'autres commencent à se battre également et très vite, le personnel de la Citadelle dut intervenir en urgence. Ce qui lui permis de sortir non sans mal de cette tour sombre et froide. Jamais le vent glacé d'hibernalis ne lui avait paru si réconfortant. Il courut, courut à en perdre haleine, à en brûler ses poumons, et ne s'arrêta que lorsque ses jambes le lâchèrent finalement. S'il aurait tardé d'une semaine encore, il aurait dû prêter allégeance, comme les autres. Et sa liberté s'en serait allé pour toujours. C'était une nécessité, une obligation, ne cessait-il de se répéter. Et pourtant, la victoire lui laissa un goût amer dans la bouche, tandis que le sel de ses larmes coula dans les premières neiges de la saison.

Les années passent à toute vitesse dans une danse folle, une représentation qui conduit les souvenirs de Maxendre à son arrivée à Asellus. Les premiers temps furent difficile, mais la liberté était si jouissive que rien ne lui semblait plus important à présent. Il cessa d'utiliser sa raisonnance, du moins tant que cela lui était possible, afin que personne ne puisse se douter de son secret. Il s'inventa une nouvelle histoire et réussi, par ses nombreux larcins, à se faire repérer par la guilde des voleurs. Quel ne fut sa stupeur lorsqu'il réalisa qu'un jour, après avoir volé sa nourriture du soir, on l'avait suivi sans difficulté aucune jusqu'à son repaire de fortune. On lui fit passer trois épreuves, parfois absurde, parfois d'une complexité sans égal et finalement, il fut accepté dans la guilde. Commettre des crimes ne le dérangeait guère, du moins le pensait-il et le pense-t-il encore et ainsi, il put réellement commencer à vivre une vie nouvelle. Il parvint, grâce à ses connaissances glanées à la Citadelle, à devenir apothicaire afin de couvrir sa double vie et de protéger le secret de la guilde. Et les jours, les semaines, les mois se suivirent jusqu'à en devenir des années...

Et enfin, le rideau tombe. Car aujourd'hui, sa vie correspond à ce qu'il a toujours imaginé, une vie de liberté sans limite, une vie digne d'un être vivant. Il se relève, adresse un sourire complice aux étoiles et aux astres et se remet en route pour sa demeure. L'air frais de la nuit caresse sa chevelure, descend le long de sa nuque. Voilà, enfin il a réussi à se sortir de sa morbide nostalgie. Car, même si pour rien au monde il ne veut perdre cette vie, il ne peut s'empêcher de penser, de réfléchir à ce passé qui le hante, ce passé qui le terrifie. Plus jamais il ne veut être privé de cette liberté. Plus jamais il ne veut être cet oiseau en cage. Plus jamais, il ne veut être traité comme une déchet.
Plus jamais.