Kassandra - Colère du Ciel

    Kassandra. Kass pour les quelques intimes qui connaissent réellement et véritablement la demoiselle. Parfois, ceux qui pensent la connaître… À regarder Kassandra, il serait facile de voir en elle une noble alsyenne comme les autres. Une lumière ailée parmi tant d’autres. La jeune femme blonde, comme toutes les célanges de son rang porte de beaux et luxueux vêtements. Elle se part de bijoux quand le soldat se part de son armure. Elle porte, comme tous les membres de sa famille, une tiare en saphir sur la tête.

Forte de ces atours, aussi éclatant que futile, elle se comporte comme toute jeune alsyenne respectable et qui ne veut pas entacher sa famille. Elle prie Zabriel quand il le faut. Elle sourit quand il le faut. Elle baisse les yeux et prend sur elle… quand il le faut. L’éducation et la culture qu’on lui a instruite ne lui servent qu’à faire la conversation. Parce que c’est son frère ainé qui gagnera les bancs du culte, comme le veut la coutume familiale, quand elle se contentera d’être la vitrine de la famille. Rien de plus. Rien de moins.

Et pourtant, Kassandra pourrait être tellement plus. Non, elle est tellement plus que ça. Certes, elle est réellement gentille et attentionnée envers les autres. Évidemment, elle est pieuse envers son dieu, mais elle craint le zèle aveugle qui mène au fanatisme le plus cruel. Elle est ouverte d’esprit et tolérante. Les discriminations d’un autre temps et qui frappent encore les Iphèmes la révulsent. Dans son cœur, gronde une hargne contre l’injustice des miséreux et des faibles.

Alors quand vient la nuit, Kassandra laisse sa tiare et ses belles robes dans sa chambre. Elle enfile un masque, prend son épée et de ses belles ailes, elle veille silencieusement sur sa chère Alsyèl. Parfois, elle arrête quelques brigands voulant dépouiller une âme égarée. D’autre fois, elle tient simplement compagnie à une âme solitaire. Toutes les fois, elle veille avec amour et bienveillance. Puis, elle rentre chez elle le cœur léger et au réveil, elle reprend son rôle de jeune noble bien sage et propre sur elle.

Mais parfois, ses escapades nocturnes ne lui suffisent pas. Parfois, le poids des joyaux qu’elle porte est trop lourd pour son âme et se sent alors frappé d’un profond sentiment d’inutilité. Elle aime Alsyèl, mais son cœur est assez grand pour tout Ynestiia. Elle rêve d’intégrer la Garde Sacrée, mais elle sait que son père ne le voudra jamais. Elle lui a déjà demandé… imploré même. En vain. Alors elle serre les dents et retient ses larmes. Elle joue son rôle. Fille de noble le jour… Justicière au grand cœur la nuit.

Un jour, elle trouvera la force de s'émanciper de sa famille. Elle s’en est fait le serment.

   

HISTOIRE

   Il y a dix-sept ans, les Cieux éternels accueillaient une nouvelle habitante. Petite fille dont la blondeur éclatante des quelques cheveux sur sa petite tête n’avait d’égale que son halo lumineux dans lequel elle baignait. Lumière et pureté, une Célange en somme. Kassandra, cadette des Aelos. Kimon étant de 15 ans son ainée. Alcibiade le père alors âgé d’un peu moins de deux cents ans quand sa mère Pénélope en avait cent cinquante. Étrange différence d’âge penserait un humain non averti, mais qu’est-ce que le temps quand vous pouvez vivre des siècles ? Peu de chose.

Sans doute est-ce à cause de cette absence de notion du temps que Alcibiade et Pénélope ont tant attendu pour leur premier enfant. A moins que l’office du père au sein du culte ne lui prenne beaucoup de son temps, justement. Il est vrai que les Aelos ont toujours apporté au culte de Zabriel des membres zélés et ce bien avant le Grand Cataclysme. C’est en tout cas ce que veut bien raconter Alcibiade quand il expose la noblesse de sa famille. Légende ou réalité, il est vrai que depuis des siècles, il est de coutume que l’ainé fasse carrière au sein du culte. Kimon a d’ailleurs bien avancé dans sa formation. Quant aux attentes vis-à-vis de Kassandra ? Eh bien. Elle est là, c’est déjà bien…

Kassandra eut donc une enfance heureuse, choyée et d’autant plus éloignée des tracas tristement terre à terre de ceux qui n’ont que peu de choses pour vivre. Si bien que toute petite, sa plus grande peur était de ne pas savoir quelle robe porter. Pire encore, que son paternel oublie de lui en acheter de nouvelles. La pauvre petite ! Elle eut une éducation classique pour une jeune fille de son rang afin que plus tard, elle puisse accueillir et animer divers salons mondains comme le fait sa mère. Elle apprit notamment très tôt à jouer de la harpe. Instrument qu’elle choisit car voir Pénélope en jouer la fascinait.



Comme le veut depuis quelques années une récente coutume, Kassandra eut le droit de se lier à une ancre pour ses dix ans. Une chevalière en l’occurrence. Il faut dire que la petite nourrissait déjà une curiosité pour « les gens d’en bas » comme elle disait alors. Le petit voyage fut ainsi l’occasion de rencontrer pour la première fois de sa vie des humains. Dire qu’elle fut déçue et étonnée serait peu dire, mais il est possible de mettre ses paroles sur le compte de son tout jeune âge. Le dédain d’Alcibiade envers toutes les autres races est en revanche assumé. A un jeune garçon qui lui aussi venait se lier, elle crut bon de lui demander comment il pouvait vivre sans ailes… Avant de rejoindre les Cieux, ils allèrent à Anthipre pour une rapide visite car pour ce qu’elle en avait lu dans les livres, cette ville à la fête éternelle lui vendait beaucoup de rêve.




Les années filèrent et progressivement, la lumière éclatante des Célanges et de leur belle cité ne l’impressionnait plus. L’Histoire autocentrée que son maitre lui apprenait jour après jour ne lui suffisait plus. Elle était curieuse de tout et pas uniquement de son peuple. Non pas qu’elle ne l’aimait plus, mais elle s’ouvrait peu à peu. Alsyèl et les Célanges ne sont pas le centre du monde contrairement à ce que peuvent en penser certains. Pire encore, qu’on lui dicte ce qu’elle devait apprendre et jusqu’au comportement qu’elle se devait d’avoir l’étouffait. Elle commença alors à fuguer de temps à autre. Ses parents décidèrent de diversifier ses leçons avant qu’elle n’ait la bonne idée de fuir la ville et pas uniquement leur demeure. Elle commença alors à apprendre l’aermagi et prendre des leçons pour manier une épée. Elle insista avec fermeté pour cette dernière. Pensant que cela calmerait ses pulsions baroudeuses, ses parents acceptèrent également.

Ils eurent raison. Pouvoir se défouler en apprenant la magie et l’art de l’épée lui fit le plus grand bien. Elle ne fugua plus. Ses parents se rassurèrent alors de ce petit plan qui semblait fonctionner en contenant l’énergie débordante de leur fille dans le cadre sécurisant et réglementé de leçons à la maison avec des maitres. Ainsi, une nouvelle routine prit place : la matinée était réservée aux leçons avec son précepteur pour faire d’elle une bonne petite noble propre sur elle, l’après-midi était réservée avec ses deux autres maitres. Est-il réellement nécessaire de préciser qu’elle préférait l’après-midi ?

A l’adolescence, elle commença également à assister régulièrement avec ses parents et son frère à diverses soirées où les bonnes familles d’Alsyèl se rencontrent. Si cela l’amusa dans un premier temps, les bals surtout, l’ennuie frappa vite. Elle comprit rapidement que son rôle se bornait à se faire belle. Être un beau bijou. Elle qui commençait à rêver d’intégrer la Garde Sacrée à force de s’entrainer, son père la ramena à sa triste réalité en la priant de bien vouloir rester sage. Ne pas oublier que ses leçons d’épée ne doivent être qu’un sport pour se défouler. Rien de plus. Alors elle comprit. Elle comprit dans les yeux de son père qu’elle devait plus tard devenir comme sa mère. Tenir son rang, faire honneur à la famille, organiser des soirées avec des nobles ennuyeux. Surtout, faire un beau mariage et de beaux enfants. La belle destinée !




Le lendemain de son dix-septième anniversaire, alors qu’une amie s’étonnait d’avoir vu Kassandra parler à un noble de son âge et invité à sa soirée d’anniversaire par pure politesse. La vérité, en vérité, c’est que la jeune Célange ne se satisfait alors plus de ses leçons avec son maitre de magie et d’armes. Elle a le cruel sentiment de devenir un automate dont la folie la guette à chaque minute qui passe. La routine la ronge et elle attend le lendemain en espérant qu’un évènement impromptu viendra la sauver de l’ennuie. Elle étouffe, elle suffoque dans ses robes et ses bijoux. Autant d’artifices futiles et elle-même n’est-elle pas inutile ? Elle le pensait alors de plus en plus souvent.

Parfois, elle se demandait de quoi sera faite sa – trop – longue vie si à son âge, elle s’ennuyait déjà. Elle ne voulait pas rester oisive. Ne rien faire et vivre comme si tout lui était dû parce qu’à la loterie des naissances, le hasard avait eu la délicatesse de la faire naitre dans une noble famille. Elle ne voulait plus pratiquer l’art de l’épée et de la magie pour « se défouler » comme on pratique un sport pour se vider la tête. Elle voulait aider son prochain, protéger les plus faibles. Elle grinçait parfois des dents quand elle entendait son père et quelques vieux prêtres parler avec désobligeance des autres races et des plus humbles. Elle s’inquiétait d’autant plus de voir son frère prendre un chemin où le zèle envers Zabriel frôlait dangereusement avec le fanatisme. Et elle dans tout ça, que devrait-elle faire ? Baisser les yeux et se taire ?

Un jour, elle a craqué. Quand lors d’une sortie pour se dégourdir les ailes, elle aperçut un briguant tenter de détrousser une jeune fille. Elle n’a pas réfléchi. Elle a piqué sur l’homme pour récupérer la bourse de la demoiselle et lança un éclair pour assommer l’autre en attendant que les autorités ne viennent l’arrêter. Cette aventure, qui fut narré à de nombreuses reprises lors des soirées suivantes, aurait pu rester une simple anecdote amusante que l’on raconte pour se divertir. Pour Kassandra, ce fut le déclic.




Kassandra n’y avait pas pensé, alors qu’elle faisait sa première ronde nocturne, que la première personne qu’elle aiderait la prendrait pour un garçon. Elle fut un peu vexée, mais cela faisait ses affaires : on ne la soupçonnera pas ! Elle n’avait pas non plus réfléchi à un surnom. Elle improvisa. Des détails qui ne lui avaient pas traversé l’esprit quand elle avait enfilé sa tenue d’entrainement, un casque, son épée à la main et la rage de combattre l’injustice dans son cœur. Si son père lui refusait d’intégrer la Garde Sacrée, ainsi soit-il ! Elle ferait alors sa propre justice.

C’est ainsi que Kassandra semble avoir trouvé un équilibre qui pour le moment lui convient. En journée, elle joue son rôle de jeune noble bien sage et pieuse. Quand vient la nuit, Kassandra devient alors Tonnerre et veille sur Alsyèl. Certes, elle n’a peut-être pour le moment croisé le fer qu’avec de petits voleurs, mais le sentiment de protéger autrui lui empli le cœur. Enfin, elle est utile. Enfin, elle aide les plus faibles qui ne peuvent s’aider eux-mêmes. Elle met son masque et incarne alors la force de ceux qui n’en ont pas. Elle est la justice ailée.