www — Fais un effort, monte !
la petite fille dans sa jolie tenue essayait tant bien que mal de grimper sur les immenses caisses jonchées à divers endroits du port. Plutôt à l'écart, elle prenait le temps de respirer puis se lançait dans une nouvelle tentative pour se hisser. Âgée de presque sept ans elle ne se laissait pas démonter. Les cheveux devant les yeux, la couette dénouée et le visage teinté de saleté. Autour les adultes s'afféraient à faire vivre les lieux, s'agitant d'un point à un autre, rejoignant les felhöks amarrés ici et là.
— Plus facile à dire qu'à faire !
plus loin, frappé d'un mal un petit garçon doté du même âge essayait tant bien que mal de la talonner, se montrant bien plus couard et moins agile. Essoufflé il manqua de peu de chuter en marchant sur l'une de ses ailes tandis que la jeune fille semblait, elle, plus à l'aise avec sa paire. Elles ne faisaient qu'un, une seule entité, un seul individu.
— Vite ! C'est... wouah !
arrivée au sommet de la pile de caisses, elle ne put retenir des yeux écarquillés à la vision qu'elle espérait, il faut le dire, pouvoir observer. Assez haut pour surplomber les lieux, elle pouvait ainsi déposer son attention sur les environs de ce qu'elle appelait la mer de nuages. Le monde semblait si vaste en dehors de l'île, à l'extérieur d'Alsyèl. Figée, elle ne pouvait plus agir, comme frappée par une nuée de rêves plus fous et métaphoriques de la liberté les uns que les autres. Enfin, son compagnon de fortune parvint à la rejoindre, posant son fessier histoire de reprendre son souffle coupé.
— Un jour je pourrais visiter le monde tu sais Hérald. Je suis sûre de ça et personne ne pourra me faire le croire le contraire ! lança-t-elle en posant ses mains sur ses hanches, comme pour appuyer ses dires et se donner un air plus sûr d'elle.
— Si tu le dis ! Toujours est-il que c'est pas ton papa poule qui va te laisser espérer quoique ce soit, tu peux me croire !
un rire s'échappa des lèvres du garçon, ce dernier se plaçant à côté d'elle pour observer le spectacle malgré tout. Les joues gonflées par la remarque, Laema ne savait que trop bien qu'il avait raison, ô oui il touchait un point sensible. Fille d'un diplomate de la cité, figure importante des Célanges, la jeune fille avait conscience de l'image qu'elle devait offrir. Elle qui rêvait de piraterie, de danger n'était qu'une petite tête de la noblesse de plus. Issue de cette famille riche elle recevait d'avantage des enseignements de port de tête, d'histoire, de piano ou encore de vocabulaire.
— Même ! Faisons-nous une promesse, un jour nous voguerons tous les deux dans ce vaste monde à découvrir ses secrets ! Allez, dis-le !
— J'accepte mais, je, mon père dit que je risque de ne plus te voir pendant un p'tit moment Laema tu sais ?
un frisson parcouru l'échine de la petite à cette question, comme si son esprit avait lui aussi cette certitude gravée sur sa peau. Herald faisait référence à une certaine visite, la venue d'une personne dont elle aurait aimé oublier le visage. Le culte, jamais elle n'avait pu voir un si grand sourire sur le faciès de père, une si grande fierté à la vision de cet individu, à l'écoute d'une certaine proposition. Figée, elle ne put que déglutir face à son ami puis elle s'empressa d'arborer un sourire, à nouveau.
— Ne dis pas des sottises !
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— Par ici ma chère, vite !
figée dans l'obscurité la cathédrale semblait frappée par un profond sommeil. Une légère bise se permettait de pénétrer à l'intérieur, s'immisçant par les diverses ouvertures, faisant s'agiter la cape de l'ombre qui se déplaçait avec rapidité et aisance. Ses pieds enchaînaient les marches, ces derniers sautant les dernières en virevoltant à l'aide d'une paire d'ailes nacrée tel un lys. La hâte ne la quittait pas tandis qu'elle ne put retenir des coups d’œil derrière elle, comme si le diable était à ses trousses.
— Je ne saurais comment vous remercier. Vraiment.
Retirant sa capuche dissimulant son visage, Laema serra dans ses bras une femme bien plus âgée qu'elle. Elle portait une longue cape, un diadème sur sa chevelure plaquée en arrière ainsi qu'une petite torche à la main abritant une flamme frappée par les courants d'air. D'un coup sec, elle ouvrit la porte proche d'elle, reculant suite à son accolade forcée. Son souffle était haletant.
— Nous n'avons guère de temps à perdre, continuez par ici, une sortie se présentera à vous vers les quartiers reculés de l'Agora. Elle lui tendit la torche que la belle attrapa sans une once d'hésitation. D'un simple sourire, elle se retira alors.
il ne restait plus que cette dernière ligne droite, cette étape à franchir pour enfin se sentir libre, pleine de vigueur. Tout en trottant, elle plaça sa main libre au niveau de sa nuque, frappée par ses souvenirs, l'âme agitée elle se sentit à nouveau en prison, bloquée, étriquée. De nombreuses années qu'elle se trouvait ici, qu'elle se contentait de suivre les enseignements, des dogmes religieux. Elle qui n'éprouvait enfant que du respect pour le culte se voyait devenir une idole en chair et en os. Sa beauté et son aura ne l'avaient jamais aidé à se fondre dans la masse, non Laema sortait toujours du lot. Elle brillait, tirait toujours son épingle du jeu.
plus le temps passait, plus le boulet présent à sa cheville se voulait lourd. Elle était coincée, trop jeune puis trop enfermée par ses devoirs familiaux. Son père était un être aimant, mais sa clémence face au refus d'obéir n'était guère existante. La belle ne devait en aucun cas bafouer l'honneur familial alors elle se plia aux règles ne parvenant pour autant pas à oublier ce ciel vaste qu'elle aimait tant observer. Jour après jour elle offrait une facette enjouée se faisant dévorer par le vent qui ne cessait de lui susurrer de partir. Elle devait déployer ses ailes,
vivre.
enfin, cette sortie. Arrivée face à un nouveau chemin pour son destin Laema posa la lanterne au sol, poussant cette grille encore synonyme de la prison dorée dans laquelle elle se trouvait. Un pied puis un second, voilà qu'elle pouvait se targuer d'être enfin en dehors de la cathédrale sans avoir une quête pour le culte sur le dos ou bien une obligation. Un soupir de satisfaction se fit entendre puis elle se figea, comme bloquée dans ses gestes et mouvements par quelque chose ou quelqu'un mais en réalité il n'en était rien. Elle le sentait, sa présence, sans mal la prêtresse avait compris qu'elle avait échoué. L’archevêque s'avança alors dans sa direction, frappé par une rage incandescente dans le moindre de ses pas.
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www l'obscurité habitait la pièce, la lune se présentant telle l'unique source de lumière. Assise au sol Laema ne bougeait plus, comme figée. Ses mains étaient assaillies de tremblements ne pouvant être retenus. La douleur était trop intense, trop forte. Un mois que la cruelle sentence était tombée sur son corps et son âme. Encore aujourd'hui des gouttes de sang perlaient de son dos comme pour lui rappeler son état. La vision de cette horreur lui était insupportable, à présent la noirceur était devenue son principal allié pour espérer survivre.
pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?!
la question ne cessait de la frapper. Pour quelle raison cet homme avait décidé d'en venir à cette nécessité. Arracher les ailes de l'une de ses consœur, décider de lui retirer tout ce qui faisait d'elle ce qu'elle était. Comment un individu prônant un culte, mettant en avant la force des célanges pouvait ainsi détruire l'âme de l'un d'eux. Seul un monstre pouvait oser montrer un tel faciès carnassier, une haine aussi intense.
— Monstre, monstre, monstre.
se redressant Laema se contenta de susurrer ce mot, ne parvenant même plus à user de sa voix enjôleuse du passé. Même elle avait décidé de l'abandonner, quelle triste vie. Avançant devant sa coiffeuse, elle observa pour la première fois son reflet. Elle n'était plus la même. Son regard plongé dans le siens pendant une dizaine de minutes, elle ne le quitta pas des yeux, fixant ce qu'elle était devenue. Une unique larme montra le bout de son nez, dévalant sa joue, elle stoppa sa course du doigt.
— Soit.
Empoignant la poignée du tiroir, elle l'ouvrit pour en sortir divers objets de cosmétiques. Un pinceau vint alors caresser son visage comme pour la rassurer sans même qu'elle n'aie à l'attraper. Le vent extérieur se mît à pénétrer dans la pièce, soutenant ses gestes sans qu'elle ne le réalise vraiment. De l'index elle vint déposer un baume sur ses lèvres un brin gercées puis sembla surprise un instant. Une sensation, telle une caresse semblable à celles que ses ailes, ses plumes lui offraient quand elle se blottissait à l'intérieur. Autour d'elle elle domptait la bise bien plus facilement que par le passé. Sa magie était là pour la soutenir, pour remplacer ce qu'elle avait perdu.
— Je serais donc enfermée ici. Quelle ironie, peut-être aurait-il préféré que je sois loin de lui finalement ?
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elle ne peut plus parler || malgré son mutisme elle parvient à susurre ou murmurer des propos || elle use du vent pour écrire avec ses doigts, histoire de se faire comprendre || il lui arrive retrouver un semblant de parole quand elle est avec des gens en qui elle a confiance || ce qui est rare || en dehors de Foheld elle semble plus à même d'y parvenir || elle joue du piano avec brio, chose qu'elle a appris avec sa mère || elle explique l'absence de ses ailes par un accident préférant taire la vérité || sa magie s'est décuplée depuis la disparition des ailes, comme pour combler le manque || depuis l'acte innommable il y a 9 mois elle s'entraîne donc à dompter l'aermagi avec intensité en secret || un éventail qu'elle ne quitte jamais est sa principale arme.