sweet nothings, honeyed words × adonis

Adonis, n, a handsome young man
When you call someone an adonis, there's an implication that he's a bit vain about his good looks

Car te présenter physiquement permet déjà d’en apprendre beaucoup sur toi, permets-moi de commencer par-là.

Un mètre cinquante et ça, tout en jambes, un torse bombé et la tête droite : tout est dans l’allure Adonis et ça, tu le sais. Pour te plaire à toi-même tu mises sur une présentation androgyne appuyée par ta silhouette élancée, tu cultives tes gestes, chaque pas est un art.. Tu aurais pu être danseur si seulement tu n’aimais pas autant l’argent. Mais tu es commerçant avant tout et même si ça ne t’empêche pas de te donner en spectacle, dans ces moment-là tu te fais moins grand, moins suffisant, plus chétif,  plus abordable. Ton bec ne t’a cependant jamais empêché de sourire à ta clientèle.

Tu es un Iphème, tu le seras toute ta vie. Une vile créature selon ta mère mais ta mère n’a jamais eu bon goût, tu as déjà vu ses amants, c’est un miracle que ses gènes aient été plus forts que tout ! Tu aurais pu naître très vilain. Mais ce n’est pas le cas, du moins, c’est ce que tu clames. Et il est difficile de savoir si c’est parce que c’est vraiment une certitude ou si c’est parce que tu essayes désespérément de t’en convaincre.  Tu mets en valeur tes particularités comme ce masque de chair rouge-orangé qui s’étend de ton bec au derrière de tes yeux dont tu rehausses la couleur déjà vibrante avec des pigments naturels. Tu en caches d’autres : tes pattes griffues sont un complexe même si tu dis que tu te limes les griffes dans le seul but d’avoir l’air moins menaçant quand tu présentes tes produits.

Tu es réputé pour être un véritable personnage. De prime abord tu es l’essence  même du marchand ambulant : un être accueillant au contact facile, versatile, sympathique comme tout. Tu sais écouter mais généralement c’est toi qui parle le plus. Car il faut être bavard pour noyer la petite voix dans la tête de tes clients qui essaie de les raisonner. Tu ne leur laisses pas le temps d’y réfléchir à deux fois que la vente est conclue ou que tu es déjà en train de plier bagage pour prendre la poudre d’escampette. Tu as beaucoup de défauts Adonis, tu es malhonnête, opportuniste, rien de moins qu’un escroc en somme. Tu te veux à la portée de toutes les bourses, peu importe le genre, le milieu, la race ou l’âge. S’il y a de l’argent à se faire aux dépends de quelqu’un, ce dernier est le bienvenue dans ta modeste échoppe. Et surtout, tu es culotté ! Tu pourrais avoir une once de décence et te faire discret avec ta camelote mais c’est tout le contraire, tu la vends avec une conviction déconcertante à crier son caractère « exceptionnel » sur tous les toits.

C’est ça qui plaît cependant. Qui n’apprécie pas un beau parleur ? Exubérant, pétillant, tu as l’air si vivant quand tu animes tes ventes ! Sûr de toi, un brin taquin, très flatteur, tu n’es avare ni de compliments, ni de petites blagues. Ainsi l’espace d’un instant tu es l’ami de tes clients et pourtant c’est sans le moindre remord que tu les détrousses. ( C’est peut-être pour ça qu’en vrai tu n’as pas beaucoup d’amis.. ) Et s’ils se rendent compte que tu les as dupés, tu es devenu maître dans l’art de la fuite.  Monsieur se dit pacifiste ? Monsieur dit ne pas aimer les conflits ? Monsieur est surtout un lâche qui n’a jamais su assumer.

J’ai dit que tu ne faisais aucune discrimination ? C’est faux, tu maudis les Célanges du bout de toutes tes plumes. Tu ne l’as jamais dit à voix haute, ce serait mauvais pour les affaires si ça se savait. Après tout, il faut être fou pour ne pas aimer ces énergumènes gniagnia-regardez-nous-on-brille-et-on-a-que-deux-ailes-notre-dieu-nous-préfère-à-vous ! Alors tu les fuis comme la peste, tu as mille et un prétextes pour ne pas les servir quand ils se présentent à ton étalage. Ta haine n’est pas infondée, tu n’étais qu’un enfant que l’on a terrorisé avec l’Histoire. Puis la peur s’est transformée en interrogation et quand on a refusé de te répondre, en incompréhension et en colère.

Sauf que tu n’y feras jamais rien, t’es comme ça : t’existes pour t’enrichir et en dehors de ça, tu n’es rien. Quand la marchandise est remballée et que la journée est terminée, il ne reste que l’argent et les monstres du passé.

HISTOIRE

C’est fou ça, aujourd’hui tu as vingt-cinq ans et ça fait longtemps ( neufs ans exactement, soit presque une décennie ) que tu es parti.

Tu es né à Epaleos, île des Iphèmes dans une petite bourgade des plus classiques. Tu es l’enfant unique d’une mère désabusée et narcissique, le produit d’une affaire extraconjugale. Ton « père », son mari, a toujours été un homme pitoyable écrasé par sa femme. Il t’a reconnu par dépit mais n’a jamais été méchant, il savait que ce n’était pas ta faute. Tu t’appelles Plume Aderyn, un nom que tu finiras par détester.

Toute ton enfance tu es le poupon de ta mère, tantôt elle ne peut plus se passer de toi, tantôt son rôle la lasse et elle t’ignore. Tu t’habitues lentement à être désiré puis délaissé, félicité puis disputé. Ça fait de toi un enfant réservé qui ne sait jamais sur quel pied danser et si physiquement tu es la copie conforme de ta mère, à cause d’elle, tu finiras par partager les mêmes traits de caractère que ton père.

Heureusement il n’y a que chez toi que c’est comme ça. Dehors même si tu te méfies un peu, les adultes et les autres enfants sont gentils avec toi. Les autres mamans te font même des compliments, elles te trouvent si poli, si joli. Ce n’est pas du goût de la tienne et dans son esprit germe une nouvelle façon de casser le peu de confiance que tu avais amassé. Petit à petit, elle instaure au sein du foyer la pratique de la religion. Il faut prier Zabriel mais à la façon de la matrone : s’excuser sans cesse d’avoir un jour péché mais être reconnaissant d’avoir été sauvé. Surtout cultiver la honte, détester son corps de monstre, envier celui des Célanges. La machine est lancée.

Il faut quinze ans avant que tu exploses. L’anxiété et la culpabilité te rongent et te conduisent au picage : ne sachant pas comment te sentir mieux, tu t’arraches les plumes. C’est une période floue dont tu ne te souviens pas trop, tu te rappelles juste que tu es resté des mois enfermés à attendre que ton plumage repousse suffisamment pour que l’on ne se doute plus jamais de rien. Ce n’est pas si facile pourtant : ton absence se fait remarquer, le village n’est pas bien grand et les rumeurs vont de bon train. Tu entends même ta génitrice dire à qui veut bien l’entendre que son enfant, cet ingrat, se fait du mal. Et elle hurle, elle pleure, elle se montre inconsolable dès que quelqu'un la regarde. Tu comprends que ce n’est peut-être pas toi le problème.

Alors un soir tu pars. ( Tu ne reviendras jamais ).
Tu as seize ans et tu es sur les routes, un pauvre baluchon sur le dos, une bourse des plus maigres en poche, les plumes que tu t’étais arraché sont précieusement enveloppé dans un drap pour te rappeler pourquoi tu fais ça. C’est la première fois que tu es libre mais tu ne le réalises pas encore. Les premiers jours sont difficiles, tu passes par toutes les étapes du deuil de ta vie passée.
Le déni : tu perpétues les rites de la femme que tu as fuis.
La colère : tu hurles sur les arbres et tu découvres la puissance de tes griffes et de tes serres contre leur écorce.
Les négociations : tu lui cherches des excuses, tu essayes même de voler jusqu’à Alsyèl pour te prouver qu’elle a raison mais tu ne réussis pas, tes ailes sont faites pour planer sur les courants et non lutter contre.

Lors de la quatrième étape tu es faible aussi bien physiquement que psychologiquement, étalé sur le sol, tu as dépensé ce qu’il te restait en alcool. Tu n’en n’avais jamais goûté avant, ça ne t’aura pas empêché d’en arroser ton gosier. Tes paupières sont lourdes, t’es fatigué. Tu t’endors au beau milieu de la route.
Tu es surpris de te réveiller. Encore plus quand tu constates que tu es à l’intérieur d’une roulotte. Tu es couvert d’un drap, à ta droite tes sauveuses un couple composé d’une humaine et d’une Iphème. Tu leurs dois la vie.

L’humaine s’appelle Valentine, toute la journée elle file et coud, crée étoffes et habits.  L’Iphème, elle, se nomme Beren et son rôle est de réussir à vendre au meilleur prix le travail de sa compagne. Elles ne sont pas comme tes parents, elles s’aiment, se respectent, s’encouragent. Elles prennent soin de toi-même si tu ne comprends pas pourquoi. Parfois tu les fuis, vieux mécanisme, mais tu reviens à chaque fois. Bien qu’elle te sait plus intéressé par la couture que par la vente, tu n’as pas des mains comme Valentine alors c’est Beren qui te prend sous son aile, littéralement, pour apprendre la vente.

C’est étrange d’avoir un Iphème comme modèle après avoir passé des années à devoir les détester. Cependant tu dois avouer qu’elle force l’admiration. Sûre d’elle, elle n’a pas honte de sa livrée. Au contraire ! Elle t’assure que les belles plumes attirent les bons clients. Elle parle beaucoup et pourrait te faire croire monts et merveilles, c’est même ce qu’elle fait le mieux. Tu es toujours derrière elle sur les marchés à la voir mener les enchères et serrer les mains pour conclure. Puis au fur et à mesure que tu t’ouvres, que tu te découvres, c’est toi qui présente les produits. Les années passent et naturellement, sans même trop savoir comment, tu finis par vendre à ton tour.

A vingt-deux ans ton apprentissage terminé à leurs côtés, tu quittes le couple non sans mal. Tu t’élances seul sur les routes. Tu n’es plus Plume l’enfant terrorisé, tu es désormais Adonis, le beau, le fier marchand ambulant. Tu n’es même plus un Aderyn, c’est le dernier cadeau de tes parentes de la route, leur nom, Cordell. Tu renais.

Alors qu’as-tu fait de ce moment jusqu’à aujourd’hui Adonis ? En trois ans, il a dû s’en passer des choses.. Eh bien, tu t’es égaré. Tu as légèrement dévié du droit chemin sur lequel elles t’avaient si soigneusement dirigé. Ta profession n’a pas changé mais tes fréquentations elles sont toutes autres. Tu loues une chambre à Ipacaô quand tu n’es pas à voyager et les gens malhonnêtes qui peuplent la ville t’ont très vite adopté. Tu dois avoir un air d’oiseau tombé du nid pour que l’on te prenne autant en sympathie mais tu n’en n’as pas l’innocence, travailler pour rejoindre une certaine guilde cachée l'aura prouvé. La qualité de ta marchandise s’est nettement dégradée et s’il est encore possible de trouver quelques véritables pépites, tu t’es entiché de l’argent facile.

C’est difficile de bien tourner, alors encore une fois :

« Très chers estimés voyageurs de tous genres et de tous horizons, approchez, approchez ! Venez contempler les plus belles étoffes et les plus belles parures des quatre coins de la contrée ! »

Que tu hurles sur le marché, les bras grands ouverts pour attirer l’attention à l’aide de tes immenses ailes.  

« Je me présente Adonis Cordell, pour vous servir ! Amateur de tout ce qui est beau, je vis pour dénicher les plus belles créations d’artisans cachés. Aussi, si je mets un point d’honneur à grassement rémunérer ces créateurs à leur juste valeur, je ne vends pas ces merveilles à prix d’or, non, le beau doit être accessible à tous. »

Du coin de l’œil tu repères un jeune homme, intrigué et timide, il fait partie de tes cibles préférées.

« Vous ! Vous avez l’air si gentil, vous voyez cette pierre ? Elle se marie si bien avec vos yeux, ce serait un crime que de ne pas vous faire un prix d’ami. »

Joyeux anniversaire.